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L’Arabie Saoudite, pays du Golfe connu pour ses vastes déserts, ses villes saintes et son rôle central dans le monde arabe et musulman, est aussi une terre de diversité linguistique insoupçonnée. Si l’arabe standard moderne est la langue officielle et la plus visible, le royaume abrite une multitude de dialectes régionaux et de langues locales parlées par différentes communautés depuis des générations. Cette richesse linguistique constitue un patrimoine immatériel précieux qui mérite d’être reconnu, documenté et transmis.

Cependant, comme dans de nombreux pays, les langues minoritaires et les dialectes locaux en Arabie Saoudite sont confrontés à des menaces de plus en plus pressantes. Entre standardisation linguistique, mondialisation, changements sociaux et manque de valorisation culturelle, ces langues sont en voie d’érosion. Dans cet article, nous analyserons les principaux obstacles à leur préservation, et proposerons des pistes pour mieux les protéger.

1. La domination de l’arabe standard moderne

La domination de l'arabe standard moderne

La domination de l’arabe standard moderne

L’un des premiers défis majeurs à la préservation des langues locales réside dans la prédominance de l’arabe standard moderne. Il s’agit de la langue utilisée dans tous les domaines officiels : éducation, administration, médias, discours religieux, publications, etc. C’est la langue apprise à l’école dès le plus jeune âge, souvent au détriment des formes dialectales transmises à la maison.

Même si de nombreux Saoudiens continuent de parler leur dialecte au quotidien, notamment au sein de leur famille ou de leur communauté régionale, l’arabe standard s’impose comme la norme linguistique de référence. Les jeunes générations peuvent ainsi finir par considérer leur dialecte comme obsolète, inadapté aux contextes modernes ou peu utile pour réussir professionnellement. Cela entraîne une désaffection progressive pour les langues locales, et leur transmission intergénérationnelle devient de plus en plus fragile.

2. La mondialisation et l’urbanisation rapide

Un autre facteur aggravant est la mondialisation en Arabie Saoudite, qui modifie les modes de vie, les valeurs culturelles et les priorités éducatives. L’omniprésence des technologies de communication, des médias internationaux et des plateformes sociales contribue à homogénéiser les langues utilisées, souvent en faveur de l’anglais ou de l’arabe standard.

Parallèlement, l’urbanisation galopante joue un rôle clé. À mesure que les populations quittent les zones rurales pour s’installer dans les grandes villes comme Riyad, Djeddah ou Dammam, elles sont confrontées à la nécessité de s’adapter linguistiquement à un environnement plus standardisé. Les jeunes, en particulier, ont tendance à adopter un langage “neutre”, délaissant leur langue régionale d’origine pour s’intégrer plus facilement. Ce phénomène est particulièrement préoccupant pour les langues minoritaires parlées uniquement dans des localités spécifiques, car il peut mener à leur disparition complète.

3. Le manque de documentation et d’outils pédagogiques

De nombreuses langues ou variantes dialectales parlées en Arabie Saoudite ne disposent pas de système d’écriture codifié. Elles sont transmises oralement, ce qui les rend plus vulnérables à l’oubli. Le manque de documentation — grammaires, dictionnaires, enregistrements audio, manuels scolaires — empêche leur intégration dans les systèmes éducatifs ou les projets de recherche linguistique.

Par ailleurs, l’absence de contenus culturels (livres, films, podcasts, émissions) dans ces langues réduit considérablement leur visibilité et leur attrait pour les jeunes. Sans outils concrets pour apprendre et pratiquer, il devient difficile de maintenir ces langues vivantes dans un environnement moderne.

4. Les perceptions sociales et le poids des stéréotypes

Dans certaines régions du royaume, l’usage d’un dialecte local peut être associé à une image négative : illettrisme, pauvreté, manque de raffinement. Ces stéréotypes ont pour conséquence de freiner l’expression publique dans ces langues. De nombreux locuteurs finissent par taire leur langue maternelle dans les lieux de travail, à l’université ou même dans la sphère amicale, de peur d’être jugés ou discriminés.

Cette pression sociale, souvent inconsciente, pousse les individus à abandonner progressivement leur langue d’origine, surtout lorsqu’il s’agit de dialectes moins connus ou parlés par de petites communautés ethniques. Le résultat est une perte accélérée de diversité linguistique et culturelle.

5. Les initiatives de sauvegarde : entre espoir et obstacles

Face à ces défis, plusieurs pistes peuvent être explorées pour préserver les langues locales en Arabie Saoudite. D’abord, un travail de documentation linguistique s’impose : enregistrement des locuteurs natifs, élaboration de corpus, transcription des structures grammaticales, numérisation du vocabulaire, etc. Ce travail peut être mené en collaboration avec des institutions internationales comme l’UNESCO, des universités locales, ou encore des communautés concernées.

Ensuite, des programmes éducatifs bilingues ou multilingues pourraient être mis en place dans les régions concernées, valorisant l’apprentissage des dialectes aux côtés de l’arabe standard. L’introduction de ces langues dans des programmes culturels, artistiques et médiatiques peut également aider à renforcer leur image et leur diffusion. Par exemple, des séries télévisées, des chansons populaires ou des bandes dessinées en dialectes locaux pourraient séduire les plus jeunes et normaliser leur usage.

Certaines initiatives saoudiennes commencent à émerger dans ce sens, comme des festivals culturels régionaux ou des podcasts explorant les spécificités des dialectes locaux. Mais elles restent encore trop peu nombreuses et souvent limitées à des efforts isolés. Une volonté politique claire et structurée serait nécessaire pour donner à ces actions un véritable impact à long terme.

La préservation des langues locales en Arabie Saoudite ne concerne pas seulement le domaine linguistique. Il s’agit avant tout de préserver une part essentielle de l’identité nationale, une richesse culturelle faite d’histoires, de proverbes, de chansons, de visions du monde uniques. Chaque langue ou dialecte porte en lui une mémoire collective qu’il serait dramatique de perdre.

Agir pour la sauvegarde de ce patrimoine immatériel demande une mobilisation collective, mêlant initiatives gouvernementales, implication des communautés, appui académique et valorisation médiatique. En redonnant leur place aux langues locales dans la sphère publique, l’Arabie Saoudite peut affirmer sa diversité tout en renforçant sa cohésion sociale.

Pour suivre les actualités et approfondir vos connaissances sur la culture et la société saoudienne, visitez Arabie-Saoudite.be, votre plateforme d’analyse et de réflexion sur le royaume.

Préserver une langue, c’est préserver une façon de voir le monde. Il n’est jamais trop tard pour agir.